Péagière d'autoroute...

Bonjour. Faut que j'vous parle. J'suis trop triste. Trop triste. Vous n'imaginez pas la peine qui est en moi. J'espère résoudre ça au plus vite. Et va bientôt falloir que je ressorte mes actions Lotus. Je sais que votre esprit fin de psychologie va m'aider, je vous en remercie d'avance.

Je vous explique la situation. Je suis étudiante, et donc, je bosse pour avoir mes exams. Je bosse aussi à côté pour aider mes parents. Le boulot d'aide aux devoirs est agréable. Mais y'a des choses moins épanouissantes que je ne vous raconte pas forcément. Enfin, j'me prostitue pas non plus, hein, ne fuyez pas. Enfin j'suis pas là pour me plaindre, je comprends bien qu'il faille aider, financièrement, parce qu'ils me donnent beaucoup.

Comme tout étudiante qui se respecte, avant d'être une super CPE de la mort, je devais bosser cet été. Très bien, bosser c'est chouette. Ca donne de l'argent, et de l'expérience professionnelle, mais bon, il faut des vacances aussi (juste un ti peu). Pas difficile de trouver un peu de vacances en 4 mois (oui les exams finissent en mai et on reprend fin septembre, si tout va bien). L'aide aux devoirs se termine fin juin tout de même. Donc j'envoie des CV et LM un peu partout, et ce matin, y'a quelqu'un, i m'appelle. A 9h alors que je me suis couchée vers les 4h du mat'. Au reveil, cash.

"Mr X : Bonjour Monsieur X de la société de péage d'autoroute, je vous appelle suite à votre candidature.
Cpechou : (Oui candidatuuure attends que j'me souvienne... Ah oui ! Ca y'est !) Mouiii, bonjour...
Mr X : Alors c'est toujours d'accord ?
Cpechou : Ben, oui ...
Mr X : Donc ça sera du 26 juin au 11 aout. Nous pouvons vous rencontrer ?
Cpechou : Euhh... Oui, bien sûr, quand ?
Mr X : Aujourd'hui, vers 16h...
Cpechou : (Cogite cogite... 16h, oui, non peut-être enfin je sais pas. ) Ok. Allons-y..."

Alors, je tente de joindre mes parents pour les prévenir... Et eux, ils partent du 4 août au 17 août. Donc, en gros, si vous avez bien compris, c'est râpé pour les vacances.

Puis vient le rendez vous à 16h. De toute manière, même si le coeur y était, impossibilité de refuser l'emploi. Vous vous rendez compte, ne pas travailler cet été...

Comme je sais quand même bien jouer le rôle de la nana super intéressée, je souris, j'acquiesce, je fais tout bien. Donc, ben ça passe, on remplit des papiers, et moi, je pense à tout ce que je vais louper durant ces vacances. Mais le pire est à venir. Tenez vous bien.

Je devrais porter cet affreux gilet jaune fluorescent. Une sorte de protection m'a t-elle dit. En gros ça sert plus à voir si on est étendu sur la voie ou encore debout. Et ça fait moche... Trèèès moche. Horriblement laid. Affreusement ignoble... Et je vais devoir porter ça. Le premier qui s'fout de ma gueule, c'est deux baffes. Alors, j'adopterai la tenue du combattant.

Je vais aussi travailler de nuit. Et du matin. Relève à 5h. Aie aie aieuuuhhhhhhh. C'est une fatalité. Pendant que ces morveux seront en train de se dorer la pilule au soleil, je trainerai ma grolle pour vagabonder d'une cabine à une autre, supporter les clients bronzés qui reviennent de vacances, les chauffeurs de camion poilus et barbus qui ne se sont pas lavés depuis 3 jours (Ouppss pardon), les gens hautains qui nous prennent pour des merdes, les habitués du boulot qui détestent les stagiaires qui ne comprennent rien, et pire, les chefs. Oui, parce que même durant un emploi saisonnier, on a des chefs. Et aussi, instabilité de l'emploi. Du jour au lendemain, on peut me dire tu seras du matin, de l'après midi, de nuit... Limite comme une CPE. Faut être toujours prête à surgir. Si un client m'attend, par exemple, ou un collègue malade...

Je devrais me tenir prête à bondir à son secours tel Roméo bondissait pour sauver Juliette. Sauf que je n'y mettrai pas le même romantisme, surtout à 5h du mat'. Super CPE de la mort... Jusqu'au bout. Bon ben désolée Walter, pour le moment, ça sera super gardienne de péage de la mort.

Et c'est le système des 3-8. Parce que j'me souviens, à mon ancien boulot, en bureau d'étude, quand les chefs ils étaient partis, on pouvait déconner. Du style, bataille d'élastiques. Roulement de chaise sur toute la longueur de la pièce. Pause café toute les 20 minutes. Putain c'était super drôle. Là, je vais m'ennuyer à mourir au milieu de la nuit dans ma cabine.

J'aurai de nouvelles expériences à vous raconter, certainement. J'évoquerai Jean et mes autres hurluberlus avec émotion, mélancolie, et nostalgie pour vous raconter l'affreux poilu pas lavé qui ne m'aura pas salué le matin... Je créerai un nouveau blog, péagers d'autoroutes, comment se passer d'eux...

Euhh à celui là, je fais comme mes élèves
et j'insiste pour qu'il me dise bonjour
ou je laisse passer et j'ouvre la barrière sans
qu'il paye ??

Et j'aurai des nouvelles de mes parents. Qui me diront : Oh, ici, on a 35 °C. Ton frère est bronzé et il s'amuse comme un fou. Ecoute, on entend les cigales. Avec un peu de chance, je recevrai une carte postale. Avec un beau mec, dessus. Je la contemplerai. Baverai. Rêverai. Rhalala.

Bon, je relativise en me disant que le travail en équipe m'aidera pour le métier de CPE. Et être forcée à être aimable, tout le temps. Et aussi que ça va m'aider financièrement... Et aussi, je vais pouvoir travailler mon thym de voix. Lalalalallaaaaaa Lololololoooh Leleeeleleleleleleeeeh...

J'm'en fou. Moi, je veux y aller, en vacances. Alors, soit je me paye ma voiture et je descends. Ou je pique la voiture de mes parents, j'en sais rien. Mais descendre en train et ne pas pouvoir bouger, c'est pas la peine.

Je veux voir des gens que je n'ai pas souvent l'occasion de voir. Je veux sauter dans cette piscine et crier "Waazzzaaa" en sautant sur le matelas comme une cinglée. Je veux contempler les étoiles en compagnie d'un garçon pendant des heures. Je veux jouer à cette balançoire. Je veux voir le soleil. Je veux faire le marché en tongs. Je veuuuux pparrrtiiirrr là-baaaas. Euh.

Alors, pour résumer, et conclure par la même occasion. J'enchainerai le contrat avec le collège, par un nouveau contrat, le 27 juin avec une société de péage d'autoroute. Qui vont m'obliger à couper mon portable, à porter un gilet jaune fluo, m'arnaquer le salaire (ça je le sens), à croiser des visages antipathiques tout au long de la journée et malgré ça, rester aimable, à m'enfermer dans une cabine sous une chaleur éprouvante (oui bon j'ai le droit de rêver...)...

Vive l'autoroute, vive les péages, vive la République, vive la France, et vive la vie d'étudiante. Vraiment. C'était pas prévu comme ça, hein. C'est nul à chier. Moi, je veux retourner au lycée. Avec mes copines. Ma copine. Avec mes profs. Avec les surveillants. Avec ma CPE. Avec des gens qui nous considèrent. Et ne pas avoir à assurer financièrement. Et que l'éducation soit gratuite. Et que la vie soit facile, à peu près tout du moins. Etre une enfant... Juste quelques heures. Et... Pfffff. Assez...

J'veux pas porter cet affreux gilet.